En prenant le contrôle d’un prestigieux domaine viticole en plein cœur de la Napa Valley, le groupe LVMH vient rappeler que les entreprises françaises ne sont pas condamnées à être les victimes de la mondialisation. Surtout, en gardant l’essentiel de ses moyens de production en France, tout en conquérant des marchés à l’étranger, le géant du luxe fait la démonstration qu’il n’y a pas de fatalité à notre déficit commercial. Une performance à laquelle son actionnariat familial n’est probablement étrangère.
Pechiney, Arcelor, Alcatel, Lafarge, les chantiers STX : depuis plusieurs années, les fleurons français ont tendance à passer sous pavillon étranger. Récemment, le cas d’Alstom a donné une nouvelle illustration (désespérante) de cette incapacité à conserver nos centres de décisions et nos capacités industrielles. L’Etat actionnaire, dans ces cas-là, s’avère un piètre recours : faute de réforme structurelle, son besoin d’argent est tel qu’il se cache trop souvent derrière des annonces volontaristes pour faire accepter ses décisions (« nous garderons un poids décisif »), avant de disparaitre irrémédiablement.
Pour LVMH, le sens de l’histoire est donc bien différent, comme le démontre l’acquisition du 20 novembre. Colgin Cellars était une cible que beaucoup considéraient hors de portée, a priori pour un acteur européen. Il s’agit probablement du domaine viticole le plus prestigieux des Etats-Unis, produisant près de 50 000 bouteilles chaque année, niché au cœur de la Napa Valley californienne, et qui compte quatre vins considérés comme des joyaux. Le « Tychson Hill Cabernet Sauvignon », le « Cariad Napa Valley Red Wine », le « IX Estate Napa Valley Red Wine » et le « IX Estate Syrah » sont d’ailleurs quasiment introuvables en dehors des Etats-Unis (et de quelques clients privilégiés en Asie).
Les quelques vingt hectares suscitaient de nombreuses convoitises de la part de plusieurs grands groupes. D’autant que les récents incendies ont épargné la région. Avec une valorisation estimée à 100 millions d’euros, il fallait surtout convaincre la fondatrice, Ann Colgin. Pour cela, Bernard Arnault s’est déplacé en personne : nul doute que le fait d’intégrer un groupe qui possède déjà des châteaux prestigieux (Chateau d’Yquem) a dû peser dans la balance.
Cette acquisition, de par sa portée symbolique, est un véritable révélateur pour la France. Contrairement à la petite musique décliniste qui se fait entendre un peu partout, LVMH est la preuve qu’il reste possible pour un groupe français de rester basé en France fiscalement, d’y fabriquer et produire l’essentiel de sa production, de rester contrôlé par un actionnaire français, tout en conquérant des parts de marché à l’international. Au-delà même des centaines de milliers d’emplois directs et indirects générés par ses activités, le groupe contribue surtout à la balance commerciale française (largement déficitaire par ailleurs), avec un chiffre d’affaires estimé à 35 milliards d’euros, réalisé pour 80% à l’étranger. Une preuve de plus qu’il n’existe pas, en la matière, de fatalité, et que des groupes français peuvent, par leur excellence (et grâce à la marque « France »), être conquérants.